Finistère : découverte de tablettes gravées vieilles de 14 000 ans

Exhumées près de Plougastel-Daoulas, ces gravures apportent un témoignage inédit sur la culture des chasseurs-cueilleurs de la période dite « azilienne ».
« Cette iconographie était-elle liée à la chasse, peut-être pour assurer son succès ? Etait-elle strictement symbolique, ou un simple passe temps ? » Les archéologues qui ont étudié le rocher de l’Impératrice, un abri sous roche situé au pied d’une falaise, dans des bois près de Plougastel-Daoulas (Finistère), se posent la question. Mais n’ont pas la réponse. La tête d’auroch auréolée de traits rayonnants, gravée sur une plaquette qu’ils ont mise au jour en 2013, ne correspond à rien de connu dans la culture azilienne à laquelle appartient le site. Celui-ci a livré à ce jour 45 fragments de schiste gravés il y a 14 000 ans – il s’agit des plus anciens témoignages graphiques jamais découverts en Bretagne.

Les deux principales pièces gravées, décrites dans la revue PloS One du 3 mars, jettent une lumière nouvelle sur cette période de la préhistoire de la fin du paléolithique, avant que les chasseurs-cueilleurs ne cèdent la place aux éleveurs agriculteurs du néolithique. L’ère glaciaire va prendre fin dans quelques millénaires, le niveau de la mer est encore bien plus bas qu’aujourd’hui (90 m), et le « relais de chasse » du rocher de l’Impératrice est alors à 50 km de la côte, surplombant une vallée très encaissée.

« Un corpus graphique exceptionnel »

Le responsable de la fouille Nicolas Naudinot (université de Nice-Sophia-Antipolis, CNRS) et ses collègues ont étudié le site chaque été depuis 2013, discrètement, « par peur des pillages », certains chasseurs de vestiges n’hésitant pas à dérober des blocs de sol qu’ils tamisaient à même la forêt. L’abri est désormais protégé par un grillage de 3 m de haut, si bien que les archéologues se sont décidés à rendre publique leur découverte, un « corpus graphique exceptionnel ». « On a subi ce côté cachottier, qui est à double tranchant, car cela attise les convoitises », explique Nicolas Naudinot.

Les chercheurs ont donc concentré leur premier article sur deux plaquettes ornées sur les deux faces. Un cheval entier se trouve sur les deux côtés de la plaquette 741, de 30 cm de côté environ. Mais la pièce maîtresse est le fragment 317, avec ses deux têtes d’aurochs, dont l’une est entourée de rayons, comme s’ils irradiaient du ruminant.

« Aucun équivalent d’“animal brillant” n’a pu être trouvé dans l’iconographie du paléolithique européen », soulignent les auteurs de l’article de PloS One. « Les rayons ont été gravés après la tête de l’animal, et celui qui a effectué le dessin est repassé sur les cornes pour que l’auroch apparaisse bien au premier plan », souligne Nicolas Naudinot. L’ensemble du dessin a été rehaussé par l’utilisation d’un pigment charbonneux. D’autres fragments gravés, encore incomplets, portent des rayons similaires. Le « taureau rayonnant » pourrait ne pas être le seul, estiment les chercheurs.

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Outre la beauté plastique des pièces mises au jour, leur découverte invite les chercheurs à réexaminer la transition culturelle de l’azilien. On estimait en effet jusqu’alors qu’elle marquait une rupture franche avec les périodes précédentes du magdalénien (site d’Altamira, – 15 000 ans) et à plus forte raison de l’aurignacien (Chauvet, – 35 000 ans) et leurs dessins naturalistes d’une grande précision.

L’azilien était plutôt caractérisé par un style non figuratif, exprimé par des formes géométriques portées notamment sur des galets. Mais le site finistérien suggère une plus grande continuité avec les cultures précédentes. Même si les rayons pourraient constituer une première incursion vers l’art plus schématique qui suivra.

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Nouveaux éléments ?

Les chasseurs du rocher de l’Impératrice, qui évoluaient dans un environnement de steppe, avaient clairement adopté de nouvelles techniques de taille des outils de pierre, typiques de l’azilien. Mais ils n’avaient pas encore rompu avec l’iconographie qui avait cours depuis des millénaires, et qui nécessitait un savoir-faire bien plus élaboré que les productions graphiques aziliennes, qui allaient ensuite voir le jour. « Ce site est une sorte de chaînon manquant, il montre qu’il y a des asynchronies entre le symbolique et le technique », s’enthousiasme Nicolas Naudinot.

Le chercheur avait eu l’intuition qu’il pourrait receler des vestiges intéressants après avoir étudié des sédiments qui en avaient été extraits dans les années 1980, lorsque le rocher de l’Impératrice était encore sur un terrain privé. La fouille, financée par le conseil départemental, propriétaire du site depuis 2010, mais aussi par la direction régionale des affaires culturelles et la ville de Plougastel-Daoulas, va reprendre cet été.

Nicolas Naudinot espère qu’elle apportera de nouveaux éléments pour étudier les différents temps des évolutions culturelles et sociales. Il travaille aussi sur un programme qui vise à recenser les abris sous roche d’Armorique, dans l’espoir d’y faire d’autres découvertes.

LE MONDE | 19.03.2017 | Par Hervé Morin

Source : lemonde.fr